Siemens Energy/Gamesa, qui exploite de l’éolien terrestre et offshore, a dévissé de 37,4% en Bourse ce 23 juin, alors qu’une partie significative (30% selon le constructeur) des éoliennes géantes s’avère défectueuse et totalement inexploitable pour produire du courant. Ce sont ainsi 8 Mds€ de capitalisation boursière qui partent en fumée (coïncidence : c’est l’équivalent de la valeur du parc éolien installé offshore) et c’est le plus gros « sinistre » capitalistique et boursier jamais observé dans ce secteur.
La seule désintégration boursière comparable à Francfort, c’était Wirecard en juin 2020, mais c’était du pur virtuel. Pour Siemens Gamesa, il y a pour des milliards de matériel installé et le carnet de commandes est plein pour plusieurs années… à moins que de gros clients annulent des contrats vu le fiasco qui se dessine. La Suède serait la première à lever le pied sur l’éolien et revenir aux énergies pilotables non carbonées, l’hydraulique et le nucléaire.
Des milliards en jeu
L’enjeu de crédibilité – sérieusement écornée – est vital pour Siemens Energy, « spin-off » de Siemens introduit en Bourse à 22 € fin septembre 2020 : il n’en vaut plus qu’environ 14,20 € désormais, soit moins de 12 Mds€ de capitalisation).
Comment restaurer la confiance après les déclarations fracassantes de Jochen Eickholt, le patron de Siemens Gamesa :
« Les problèmes de qualité découverts sur les composants des éoliennes – notamment les pales et les roulements des rotors – lors du dernier examen mené sont bien pires que ce que j’aurais cru possible. »
Il n’est pas exclu que des problèmes de conception aient également joué un rôle… et cela pourrait affecter une part significative des 29 000 éoliennes déjà installées ainsi que les centaines déjà commandées et qui sont identiques aux modèles de 8 GW mis à l’arrêt.
Des milliards sont en jeu avec le lancement de nouvelles tranches d’éoliennes offshore : Scottish Power Renewables a commandé 95 turbines pour équiper le site East Anglia 3 en mer du Nord (d’une capacité totale de 1,4 GW). Le groupe polonais PGE et le danois Ørsted ont commandé 107 éoliennes dans le cadre du projet offshore Baltica 2 (de 1,6 GW).
Siemens Energy a obtenu ces contrats grâce à la forte impression laissée par la construction du plus grand parc éolien offshore au monde pour le compte du groupe danois Ørsted dans une zone baptisée Hornsea, à 89 kilomètres à l’est des côtes britanniques. Il s’agit de 165 éoliennes de modèle SG 8.0-167 DD (de 8 MW, ce qui devient un peu la norme pour l’éolien offshore en Europe), d’une capacité totale de 1,386 GW, capables d’alimenter 2,3 millions de foyers britanniques.
Coûts et bénéfices
Les questions qui restent sans réponse sont : que vont coûter les remises en état de fonctionnement des éoliennes (les premières estimations se chiffrent à au minimum 1 Md€, ce à quoi il faut ajouter les pertes d’exploitation), sous quel délai, qui sera jugé responsable des problèmes de « qualité », combien mettra de temps la justice à faire payer les parties condamnées pour tromperie sur la fiabilité du système et malfaçon (le fabricant espagnol Gamesa est le concepteur de turbines géantes de 150m de diamètre, à entrainement direct, de 6 à 8 MW) ?
Le risque d’un « coup d’arrêt » au gigantisme, au défi technologique posé par l’offshore lorsqu’il s’agit d’effectuer des réparations sur les turbines et les pales, impliquant des grues géantes avec des bras grands comme des demies Tour Eiffel est à prendre au sérieux.
Pour la Suède, c’est un peu du quitte ou double : la puissance installée, majoritairement en offshore, devrait délivrer bien plus que les 33 GW mesurés en 2022.
Selon le rapport du programme européen Copernicus, certaines parties du nord-ouest et du centre de l’Europe ont connu en 2021 des vitesses de vent moyennes annuelles les plus faibles depuis au moins 1979, ce qui a fortement réduit le potentiel de production d’énergie éolienne dans de nombreux pays de l’Union, notamment en Allemagne.
Donc, le rapport entre l’énergie produite et le coût de l’investissement est bien moins attrayant que ce qui a été promis aux contribuables : le déficit par rapport aux projections se situe au-delà de 30%, et souvent au-delà de 40%, même si le matériel fonctionne correctement, alors imaginez quand un tiers du parc doit être mis à l’arrêt pour des problèmes techniques.
Vertigineux problèmes
Avec de tels écarts – et maintenant on parle de 50% avec les pannes –, il est normal que les gouvernements revoient leurs plans.
Pour la Suède, cela ressemble à du quitte ou double : soit la déception technique glisse sur le terrain du scandale politique et c’est terminé pour l’éolien, soit le lobby de l’éolien parvient à convaincre que la technologie va évoluer vers une plus grande efficacité grâce à la construction de turbines flottantes titanesques de 370 mètres de haut, de 340 m de diamètre et délivrant 30 MW (pratiquement quatre fois la puissance moyenne des éoliennes « géantes » de Siemens Gamesa).
Une demande d’autorisation par Freja Offshore pour un premier champs baptisé Cirrus d’une capacité de 2 GW a été déposé, alors que ces machines beaucoup plus grandes que des Tour Eiffel n’existent pas encore, n’ont pas été testées et représentent un défi technologique dont il n’est pas certain qu’il puisse être avec succès relevé un jour.
Sans parler de l’impact écologique des ancrages sous-marins, chacun pesant des milliers de tonnes.
Et pour corser l’affaire, il va falloir construire des grues flottantes de 450 m de haut, pesant des dizaines de milliers de tonnes : la trace carbone de tout ce matériel – des monstres d’acier (mats et structures de flottaison, plus ancrage), d’aluminium (pales de 200 m) et de cuivre (pour les turbines et les câbles sous-marins) qu’il va falloir créer de toute pièce va être à l’image du projet, c’est-à-dire titanesque.
Mais c’est leur coût financier qui suscite déjà – plus que leur hauteur – le vertige, avec aucune garantie que ça fonctionne sans occasionner des rafales de problèmes.
Rédigé par Philippe Béchade
La Chronique Agora