La démondialisation est en marche – politiquement parlant – depuis début 2017 et les premières déclarations hostiles envers la Chine de Donald Trump, avec la promesse de rééquilibrer le commerce entre les deux pays, de rapatrier la production aux Etats-Unis et d’offrir de bons emplois aux citoyens américains de la classe moyenne.
Six ans plus tard, la Chine a vu son poids passer de 12,5% à 19% dans le PIB mondial (notamment grâce à une spectaculaire accélération de 3% en 2021), les États-Unis ont rétrogradé de 17 à 16,5% et la zone euro de 13 à 12% (après une chute de la production industrielle en deux temps, 2020 et 2022).
Un redémarrage plus lent qu’attendu
Malgré les sanctions douanières infligées à un large panel de produits chinois depuis 5 ans, le boycott de Huawei, de ZTE et d’entreprises liées au complexe militaro-industriel chinois, le déficit du commerce extérieur US avec la Chine a battu l’an dernier un nouveau record absolu, à 400 Mds$.
Le déficit commercial total des Etats-Unis a pour sa part explosé, à 948 Mds$, soit 103 Mds$ de plus qu’en 2021… et 570 Mds$ de plus qu’en 2001, année de l’entrée de la Chine dans l’OMC. Ce solde commercial ne s’est même pas amélioré malgré les exportations massives de GNL vers l’Europe suite au boycott du gaz russe.
En attendant la « grande relocalisation » promise par Trump, les Etats-Unis demeurent plus dépendants que jamais des matières premières, des semi-conducteurs et des composants de batteries fabriqués en Chine, voilà la réalité.
Le bon côté des choses, c’est que la demande occidentale aurait dû contribuer à relancer la locomotive chinoise. Si ses exportations se sont en effet améliorées au cours des deux derniers mois, ce ne fut pas dans les proportions attendues, et la demande intérieure est demeurée bien plus faible que prévu.
La cause de la faiblesse de la demande extérieure chinoise trouve en grande partie sa source dans la chute de l’indicateur de croissance américaine qui est tombé à 25% au premier trimestre, ce qui très inférieure au potentiel historique.
L’immobilier repart ?
Les Etats-Unis ralentissent réellement, comme le démontre la contraction de la consommation de biens et de l’investissement au cours des trois derniers trimestres. Le seul signe de résilience tout nouvellement réapparu – à la surprise générale – provient de l’immobilier avec une hausse de 21,5% des mises en chantier au mois de mai.
La Chine n’y est pour rien cette fois, alors que les investisseurs chinois ont été longtemps de gros acheteurs immobiliers sur la côte ouest des Etats-Unis, au point d’être sur-représentés dans les transactions au-delà de 500 000 $. La crise immobilière atteint des niveaux records à San Francisco notamment, avec un nombre de SDF en centre-ville jamais vu depuis la crise de 1929.
Depuis mars, c’est la zone euro qui profite le plus d’une hausse de l’activité industrielle en Chine, mais, globalement, l’impact est assez comparable par rapport aux Etats-Unis : une hausse de 1 point de l’indice PMI chinois entraîne un gain équivalent sur l’ISM américain et de l’indicateur avancé (PMI industriel) européen. Le symétrique est également vrai.
Et c’est bien le problème pour les semaines ou les mois à venir : la croissance chinoise qui demeure officiellement légèrement supérieure à 5% est certainement très inférieure à cet objectif, ce qui vient de conduire Pékin à réduire une fois de plus son taux directeur de 10 points de base.
Les initiés (des proches du pouvoir) semblent cependant estimer que ce geste est très insuffisant : la situation doit donc être pire que ce que les occidentaux pensaient.
La tendance baissière qui affecte la plupart des paramètres économiques aux Etats-Unis pourrait bientôt apparaître plus manifeste : le recul de l’inflation semble directement lié à l’anticipation d’une récession qui contrarie toute tentative de redressement du pétrole au-delà des 75 $ (Brent) et du gaz.
Protection et restrictions
A moins que la Russie ne joue pas le jeu de la réduction successive des quotas adoptés par l’OPEP « élargi », en augmentant ses exportations vers le Japon, l’Inde, et vers la Chine. Cette dernière a battu un record historique de millions de barils livrés en mai, Pékin ayant en effet quasiment doublé ses importations de pétrole russe par rapport à février 2022, soit 9,7 millions de tonnes de pétrole brut contre 5,4 millions 15 mois plus tôt).
Cette boulimie de pétrole russe est interprété comme un soutien objectif – et à la limite de la complicité – de Pékin envers Moscou.
L’Europe, sans mettre les deux dictatures dans le même sac, prépare des mesures baptisées « stratégies de sécurité économique », qui semblent taillées sur mesure et s’appliquer indifféremment à l’un ou l’autre de ces deux pays.
Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne qui se dit très attachée au libre-échange (mais pas avec la Russie : un onzième paquet de sanctions vient d’être adopté), a déclaré : « Nous devons veiller à ce que le capital des entreprises européennes, leurs connaissances et leur expertise ne soient pas utilisés de manière abusive par des pays qui ont, par exemple, des objectifs militaires. »
Cela ne peut que déboucher sur des restrictions sur les partenariats industriels et technologiques bilatéraux avec la Chine… et conduire à l’accroissement du risque récessionniste, déjà grandement accrus par la hausse du loyer de l’argent de 0 à 400 points de base en Europe (bientôt 450), et probablement 550 points aux Etats-Unis d’ici le 26 juillet (consensus massif de 80%).
Question de démographie
Il y a cependant un facteur bien particulier et qui apparaît de plus en plus décisif et sur lequel ni les Etats-Unis ni l’Europe n’ont aucune prise : c’est la démographie chinoise, qui est sur une trajectoire bien pire que le Japon en 1990. La chute du nombre de jeunes tandis que le nombre des seniors explose entraîne un comportement d’épargne bien différent de l’orgie de consommation des années 2010.
Par ailleurs, les seniors qui avaient tout misé sur l’immobilier locatif pour compléter leur retraite se retrouvent avec des dizaines de millions de biens pas achevés (zéro revenu locatif), ou dans des zones où il n’y a pas de demande (et qui ne se revendent pas non plus). Du coup, ils sont contraints à une « sobriété » digne d’une récession violente en terme de consommation.
Une vie de labeur qui débouche sur une fin de vie austère, ce n’est pas ce dont rêvait le peuple chinois… mais c’est assez conforme à une tradition pluri-millénaire, en fait… avec 700 millions de caméras de surveillance en plus.
Comment dit-on « big brother » en chinois ?
Rédigé par Philippe Béchade
La Chronique Agora