Pantouflage ou enfumage ?
Haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye avait présenté en juillet son projet de réforme de retraite et de fusion des régimes. Il prévoyait de reculer l’âge de la retraite de tous, avec cette notion d’« âge d’équilibre à 64 ans », forme politiquement correcte pour dire : retraite à 64 ans. Le mois suivant, Macron le désavouait et annonçait sa préférence pour une augmentation des trimestres obligatoires de cotisation, sans cependant toucher à l’âge officiel de la retraite, soit 62 ans (voir Présent du 30 août). Ce mardi, c’est le même Delevoye désavoué, ridiculisé, qui devient ministre. Forme de mise à la retraite, pour le coup ? Prétexte à retarder ou enterrer une réforme quasiment impossible à mettre en œuvre ? Un peu des deux.Ce mardi 3 septembre, l’Elysée a fait savoir que l’ancien ministre UMP Delevoye intégrait le gouvernement en qualité de chargé de la réforme des retraites, sous la direction d’Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé. Ce franc-maçon notoire, l’un des plus influents parmi les 500 maçons de cette fraternité qui entoure le président Macron, était président du Conseil Economique, Social et Environnemental jusqu’en 2015, le CESE, ce « machin » qui ne sert à rien, et qu’il est toujours question de supprimer, mais qui compte tellement de frères en son sein, qu’il survit à toutes les réformes. Delevoye est aujourd’hui âgé de 72 ans, il a lui-même largement dépassé l’âge de la retraite, et cette nomination en qualité de ministre (il l’avait déjà été du temps de Raffarin) ne changera pas grand-chose à sa mission sur les retraites. Il s’agit davantage sans doute d’une forme de reconnaissance, ou de compensation, suite au rapport remis le 18 juillet au chef de l’Etat, travail que Macron avait rejeté en quelques mots, lors du G7 qui a suivi, et à la surprise générale. Ce qui avait d’ailleurs entraîné une certaine cacophonie gouvernementale.
Mission : reporter la réforme à un éventuel second quinquennat
Il va maintenant être demandé à Delevoye d’organiser une large concertation (alors que cela fait 18 mois qu’il consulte sur le sujet !), et de faire en sorte que la réforme promise soit reportée à un éventuel second quinquennat. Macron et Edouard Philippe semblent en effet convaincus que la réforme des retraites est une bombe à retardement, que les syndicats vont en faire leur cheval de bataille, eux qui sont muets depuis deux ans, et avec eux les organisations politiques de gauche.
Le plus sage, pense sans doute Macron, est de pratiquer un enfumage, en demandant à Delevoye d’avaler les couleuvres d’une mise à la trappe d’un travail de 18 mois, de gagner du temps avec une consultation, dont il ne risque guère de sortir d’idées nouvelles par rapport à celles exposées – et approuvées, dans un premier temps – du 18 juillet dernier.
Pour ce travail de reprise à zéro d’un projet à peu près ficelé, quoi de plus habile que de conserver à la manœuvre l’auteur du rapport du 18 juillet ? La nomination de Delevoye est donc le prix à payer par le gouvernement, pour conserver sa fidélité. « Cette mission vaut bien un fromage, sans doute », aurait pu dire La Fontaine. Ce « fromage », c’est ce poste de ministre.
Présent