Personne ne lui enlèvera une chose : il a été un précurseur. Lorsqu’il est élu président à 48 ans en 1974, il est une incarnation quasiment parfaite de la génération qui aura la vie la plus facile de l’histoire de l’humanité. Quasiment : parce que contrairement aux enfants du baby-boom, il faut reconnaître à Giscard le courage de s’être battu pour la France. Elève brillant à Louis-le-Grand lors de la libération de Paris, il s’engage dans la 1e armée française de De Lattre, combat comme canonnier dans un char, et reçoit la croix de guerre.
Il gardera toute sa vie un style athlétique et félin, dans son attitude et dans son verbe. Un beau contenant, mais pour quel contenu ? Cet esprit particulièrement affûté sera tombé dans tous les pièges de la modernité et aura posé les bases de la situation tragique dans laquelle la France se trouve actuellement. Alors que le général de Gaulle et son successeur Georges Pompidou ont travaillé opiniâtrement à tracer une troisième voie pour la France, VGE est le président du grand relâchement. VGE : il se faisait volontiers appeler par cet acronyme qui lui rappelait JFK, rencontré en 1962. La France est devenue véritablement accro au poison de la mondialisation sous son septennat. Lui qui a fait Polytechnique et l’ENA a appliqué à la France une politique suicidaire à long terme.
Sur le plan sociétal, c’est le président du divorce, de l’avortement, de la fracturation de la famille, celui qui a préparé les ruines anthropologiques dans lesquelles prospéreront plus tard les idées socialistes, de Mitterrand à Hollande. Sur un plan économique et stratégique, c’est lui qui a ouvert grand la porte au surendettement, tué la banque de France, lancé la désindustrialisation massive, et préparé le terrain à l’euro. Enfin, c’est lui qui a autorisé le regroupement familial, début de l’immigration de masse, qui place la vieille Europe dans une situation pré-insurrectionnelle en ce début de millénaire.
Un jeune banquier, sportif parfaitement à l’aise dans la mondialisation, maîtrisant sa communication de campagne à la perfection, élu très jeune en jouant les centristes plus intelligents que les autres, européiste béat, et vendant la France à l’encan en souriant ? Valéry Giscard d’Estaing et Emmanuel Macron ont effectivement des parcours semblables. A quelques nuances près, et non des moindres, comme l’ancrage régional et local fort du premier en Auvergne, où il fut élu maire d’un bourg, et dont il dirigera la région pendant plusieurs mandats. C’est à son sujet que Raymond Aron a dit : « il ne sait pas que l’Histoire est tragique ». De fait, VGE est le visage rayonnant d’une génération qui a tout reçu, vécu dans un paradis où la sécurité et le plein emploi coulaient de source, et il est mort au moment des premières secousses vraiment dures du monde que lui et les siens ont créé. Il s’est même payé le luxe de devenir immortel en 2003, en n’ayant guère écrit que des bricoles dénuées d’intérêt.
Cet homme au style élégant, et qui a gardé ses vestes croisées, pantalons à pinces et pulls en V jusqu’à sa mort, est pourtant celui qui a désarmé la France dans la guerre perpétuelle qu’est l’existence des peuples, en « décrispant » son pays pour reprendre son terme. En délocalisant, par exemple, le défilé du 14 juillet entre Bastille et République. Il voulait une France « cool ». Elle l’a été jusqu’en 2002 ; depuis, chacun sait que la crise économique, financière, le chômage, la désindustrialisation, l’islamisme, l’immigration de masse, l’érection de la Chine comme puissance mondiale, le retour du péri ottoman, l’extraterritorialité du droit américain, ces faits n’ont rien de « cool ». Le monde redevient tragique. A-t-il jamais cessé de l’être ? Oui. Pour une seule génération, celle des Européens de l’Ouest qui vécurent entre les années cinquante et s’éteignirent cette dernière décennie.
Valéry René Marie Georges Giscard d’Estaing, mari de Anne-Aymone Sauvage de Brantes. Il a modelé une France où les hommes portant des noms comme le sien n’existent plus. La France des élites intellectuelles et culturelles, aux noms magnifiques et à la classe aristocratique a presque disparu et il n’y est pas pour rien. Indéniablement il est en partie responsable par la naïveté de sa vision. Est-il coupable pour autant ? On laissera les lecteurs juger son œuvre, on laissera Dieu juger son âme.
Benoît Busonier pour
Présent